Baromètre 2023 : Emploi des seniors, comment accompagner les entreprises ? Focus sur un levier d’action, la formation
Le développement des compétences est encore trop souvent dans l'angle mort des politiques d'entreprise concernant l'emploi des seniors. Un changement d'approche serait salutaire.
Que faites-vous pour développer les compétences de votre population senior ? À cette question, beaucoup d'entreprises – surtout lorsqu'elles ont une pyramide des âges vieillissante – répondent qu'elles ne font aucune différence entre les classes d'âge. Si les plus vertueuses gardent tout de même un œil attentif à leurs différents taux d'accès à la formation, nombreuses sont celles qui ne font aucun focus sur les seniors... au risque de les oublier.
Une tendance confirmée par Sextant Expertise (cabinet d’expertise et de conseil auprès des élus CSE et négociateurs syndicaux), qui a récemment réalisé une étude sur 46 accords seniors ou de GEPP incluant des mesures seniors, signés depuis 2020. D'où il ressort que ces textes traitent beaucoup plus de l’accompagnement de la fin de carrière et de la transition vers la retraite que de formation, de maintien dans l’emploi et de développement des compétences. Cette dernière problématique n’étant abordée que dans six des accords en question. « La formation est souvent vue principalement sous l’angle de l’obligation réglementaire (certifications, habilitations), et non comme levier de construction de parcours en compétences et en bonne santé pour les salariés », analyse Catherine Delgoulet, professeure, titulaire de la chaire d’ergonomie au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam) et directrice du GIS-CREAPT (Centre de recherches sur l'expérience, l’âge et les populations au travail)
Les cadres bien mieux lotis que les ouvriers
Plusieurs enquêtes, certes un peu datées, ont mis en avant le moindre accès à la formation continue des salariés au fur et à mesure de leur avancée en âge (voir encadré ci-dessous). Avec, toutefois, une différence notable entre catégories socio-professionnelles, observe-t-elle : « Le décrochage est beaucoup plus tardif chez les cadres que chez les ouvriers, pour qui la formation peut s'interrompre très tôt, dès 35 ou 40 ans. Ce qui n'est pas anodin, car le travail, lui, ne cesse de se transformer. Et c'est tout au long de sa vie professionnelle que l’on peut être amené ou souhaiter se former. » Pourtant les seniors, dans l'ensemble, se sentent un peu moins concernés (voir encadré ci-dessous). Encore faut-il se demander pourquoi. Car l'approche du départ à la retraite, dont la dernière réforme a de toute façon repoussé l'échéance, n'explique pas tout. Pour Catherine Delgoulet, leurs précédentes expériences en la matière peuvent émousser leur motivation. Certains n'ont pas envie d'essuyer un énième refus de leur employeur ou s'autocensurent.
Des crispations au regard de la réalité du travail
D'autres n'apprécient guère d'être pris de haut : « S'il s'agit simplement d'apprendre à dérouler une nouvelle procédure en oubliant tout ce qu'ils faisaient déjà très bien auparavant, ils vont forcément se demander pourquoi, et il y aura des crispations. Ce n'est pas un manque d'adaptabilité ni de la résistance au changement – je n'ai d'ailleurs pas entendu parler de résistance au télétravail et à l'usage de la visioconférence de la part des seniors durant la crise sanitaire –, mais un questionnement au regard du travail réel et de ses conditions de réalisation. » De fait, qui n'a jamais pesté contre l'utilisation d'un nouveau logiciel de gestion ou la mise en place d'un processus venu d'« en haut », dont l'efficacité annoncée (pour rationaliser l'activité et augmenter la productivité) est rapidement remise en cause par le temps qu'ils font perdre... « Délivrer une formation qui ne vise qu'à acter un changement annoncé d'autorité comme un progrès, sans réflexion sur la manière dont les salariés expérimentés vont pouvoir réutiliser leur savoir, risque en outre de mettre ces personnes en difficulté dans l'exécution de leurs tâches. » D'où l'importance de coconstruire le changement pour favoriser l’appréhension de ce qu'il va apporter et lui donner du sens. « Il s'agit de permettre aux salariés concernés de se projeter dans les nouvelles situations de travail, en mesurant ce qu’ils pourront transférer de leur expérience et ce qu’ils auront potentiellement à renforcer ou acquérir. »
Penser des parcours de travail et de formation
Il est tout aussi nécessaire, ajoute-t-elle, de sortir du modèle classique de la « formation-réaction » visant uniquement l'adaptation aux transformations de l'entreprise et au poste de travail, pour avoir une approche plus durable des questions d'emploi et de travail. « La formation doit permettre de penser des parcours. Ce qui implique de changer de temporalité, de se départir de l'immédiateté – peu de gens sont de toute façon opérationnels juste après une formation – pour intégrer le fait que ce n'est pas un coût mais un investissement à moyen-long terme. » Or certains employeurs estiment d'emblée que certaines tâches ne nécessitent aucun apprentissage : un homme sait tenir une pelle, une femme est parfaitement capable de faire le ménage ou de prendre soin des personnes âgées. Les préjugés ont la vie dure et peuvent induire une perte de productivité, voire des problèmes de santé au travail. Du grain à moudre pour tous les secteurs d'activité qui, traditionnellement, forment peu, mais ont aujourd'hui d'importantes difficultés de recrutement (services à la personne, hôtellerie-restauration, grande distribution...). Par ailleurs, complète-t-elle, « un certain nombre de travaux montrent clairement un lien entre le fait de pouvoir apprendre dans son travail et la préservation de la santé physique et cognitive des salariés. La formation doit être vue à la fois comme une respiration dans un parcours professionnel, et le moyen de s'armer pour ne pas subir les évolutions et pouvoir, au contraire, se projeter et être acteur des transformations du travail ou d'autres activités. »
Construire des solutions globales
Catherine Delgoulet en est convaincue : « Il faut concevoir conjointement le travail et la formation au plus près de ce qu'il se passe sur le terrain pour donner à chacun les moyens de bien faire son travail. Et construire des parcours professionnels sur le temps long. » Certaines entreprises ayant à cœur de conserver les salariés expérimentés dont elles reconnaissent les compétences n'hésitent pas à proposer des évolutions – voire des créations – de postes ou des transitions professionnelles (les formations de formateurs ou de tuteurs, notamment, ont aujourd'hui le vent en poupe). Mais, prévient-elle, « la formation est une option parmi d'autres, ce n'est pas l'alpha et l'oméga du maintien en emploi des seniors. Lequel nécessite de construire des solutions globales, en mettant autour de la table les ressources humaines, les préventeurs de la santé et de la sécurité et la médecine du travail, ainsi que les responsables de production ou de services. Car il faut aussi intégrer les problématiques de rémunération (pour tenir compte, par exemple, des primes liées au travail posté) et réfléchir à un aménagement des critères de performance en fonction de l'évolution des personnes. »
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